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Eugène René Poubelle (Paris)

« Papa eut eu cent quatre vingt neuf ans aujourd’hui ! » pensé-je avec émotion, comme chaque année à pareille date. Évidemment l’inculte Chriostiane du troisième qui vient de me vomir ses restes de tripes à la mode de Caen, ignore assurément que c’est la ville natale du préfet qui a tenté d’améliorer l’hygiène de la ville.
Plusieurs années déjà que je suis là avec mes voisines colorisées.
La grise classique, pas peu fière de son antériorité, elle prétend qu’elle fut la première, pas faux.
Le verre va dans la poubelle verte ; elle a pris l’habitude de recracher les bouchons depuis qu’elle a découvert dans la cour deux ‘Bigarchonnes’, membres de l’association ‘Bouchons d’amour’, les ramasser. Ah l’amour ! Compte tenu de ce qu’elles précipitent, elle les croit polyamoureuses…
La jaune reçoit plastique, carton et papier… s’il n’y a pas de poubelle bleue. C’est là que cela se complique car on y met généralement le papier, les journaux, les annuaires, les prospectus, etc. Va comprendre les anthropopithèques.
L’analphabète Blandine du premier ne doit pas savoir lire les conseils pour instaurer le tri sélectif. Périodiquement la gardienne doit lui rappeler que les piles et batteries doivent aller dans des containers spéciaux, que ses médicaments - elle en bâfre une quantité impressionnante - doivent être ramenés dans la pharmacie. Quant à ses déchets encombrants, elle les sort la nuit sur le trottoir ; avec les autres poubelles nous l’avons déjà vue.
Pile poil un mois + un jour, nos vies de poubelles ont été modifiées, comme s’il y avait quelque chose de changé dans l’air, mais quoi ? Certes nous sommes toujours déplacées chaque soir de la cour vers le jardin, puis chaque matin du jardin vers le trottoir et retour au point de départ quelques heures plus tard. Mais le changement, ce sont les visites que nous recevons. Un peu comme s’il y avait une vie distincte avant et après le 15 mars. Que s’est-il passé cette nuit-là à minuit ? Désormais, elles et ils viennent à toutes heures du jour et même de la nuit, comme si c’était une divertissante sortie de venir faire un tour près de nous ; certains soulèvent le couvercle dans un geste rituel propre aux sociétés primitives étudiées par l’anthropologue du second ; ils n’ont rien à jeter, puis repartent en sifflotant.
Depuis quelques temps, des messages manuscrits sont même fixés sur nos couvercles à l’aide de ruban adhésif du genre : « Merci d’être là pour nous ». Assez incompréhensible. Il semblerait que les Bigarchonnes veuillent établir un contact avec les éboueurs ; la poubelle bleue allègue les tentatives renouvelées de l’astrophysicienne du quatrième de prise de contact avec les extraterrestres…
Jacques Vallet, un Papou dans la tête, je l’aime bien celui-là, est venu me déclamer une ballade nocturne
♪ Je me retrouve au lit malade
Pour composer cette ballade
Couvert de crasse et d’excréments
Alors que fleurit le printemps…♫
© Patrick Álvarez

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